C’est un endroit aussi prestigieux que secret. A Guer (Morbihan), le camp de Saint Cyr Coëtquidan forme l’élite de l’armée de terre. C’est là que les élèves-officiers sont préparés à servir la France, parfois au péril de leur vie. On nous a ouvert les portes.
Deux étudiants plongés dans des bouquins à la médiathèque. Quoi de plus banal ? Sauf que là, les élèves sont en treillis et que leur Famas est posé à l’entrée de la salle. Cette scène résume à elle seule l’esprit des écoles d’officiers de Coëtquidan et de leur enseignement.
Deux écoles dans la lande
Fondée en 1802 par Napoléon Bonaparte, la première école d’officiers de l’armée de terre française s’installe peu après dans les Yvelines à Saint-Cyr-l’École, dans les bâtiments de la maison royale de Saint-Louis.
En juillet 1944, l’école est en partie détruite par des bombardements alliés. L’école Spéciale Militaire de Saint-Cyr vient alors s’installer sur le camp de Coëtquidan (Morbihan), où elle faisait déjà des manœuvres avant-guerre.
A peine élu Président en 1959, le Général de Gaulle, qui est lui-même un ancien Saint-Cyrien, décide d’y installer définitivement l’école militaire ainsi que l’École Militaire Interarmes.
Les 3.600 hectares de terrain s’avèrent plus propices aux exercices de troupes et blindés.
Au milieu des années 60, les baraquements laissent place aux bâtiments en dur que l’on connaît aujourd’hui.
Charles de Gaulle, le maréchal Mac Mahon, le général de Lattre de Tassigny, Charles de Foucault (devenu religieux par la suite) et, plus récemment, le colonel Arnaud Beltrame assassiné en mars 2018… Bien des grands noms sont passés par l’une ou l’autre des écoles d’officiers de Coëtquidan.
La plus prestigieuse est l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. C’est l’une des grandes écoles d’enseignement supérieur françaises au même titre que l’école polytechnique ou les écoles normales supérieures.
Saint-Cyr, dont l’emblème est le casoar et la devise « Ils s’instruisent pour vaincre », recrute principalement ses élèves-officiers sur concours (filières scientifique, littéraire et économique).
Leur formation à Coëtquidan dure trois ans. Les élèves en ressortent avec un grade d’officier et un diplôme de Master, d’ingénieur pour les scientifiques.
Souvent éclipsée par l’E.S.M., l’École Militaire Interarmes recrute ses élèves, sur concours, parmi les militaires issus du rang et les sous-officiers d’active. Ces élèves, qui doivent avoir le baccalauréat et au moins trois ans de service militaire actif, ont, pour certains, déjà connu le feu voire été blessés.
Ce ne sont pas des « poitrines vierges ». A l’issue de leurs deux années de formation, les élèves sont nommés lieutenants et titulaires d’une licence.
Pour les deux écoles, l’enseignement repose sur trois piliers :
- l’enseignement académique ou universitaire, surnommé « la pompe » ;
- l’enseignement militaire
- l’enseignement humain et moral
Ici, on apprend à faire la guerre mais pas n’importe comment
Quelque part sur le camp au lieu-dit du « Bois du Loup ». C’est là, entre autres, qu’ont lieu les entraînements militaires.
Exercices de combat grandeur nature, entraînement au tir, parcours du combattant.
A un rythme très soutenu, les élèves, dont certains viennent tout juste de quitter le monde civil, enchaînent les cours magistraux et les journées (les nuits aussi !) passées sur le terrain.
Le rythme est volontairement éreintant et il n’est pas rare de voir un élève dormir debout ou s’écrouler pendant un cours donné en amphithéâtre.
« L’objectif est de les mettre, dès le début, dans la situation du futur chef de section [NDLR : à la tête de trente hommes]», explique le capitaine Maximilien, instructeur auprès des élèves de l’E.S.M.
Leur cursus militaire s’achève systématiquement par un stage d’aguerrissement en forêt équatoriale en Guyane particulièrement éprouvant.
Entre tradition et innovation
Dans l’armée, l’héritage laissé par les aînés, le souvenir occupent une place essentielle dans la formation des futurs chefs. Les écoles de Coëtquidan ne dérogent pas à cette transmission des traditions, à l’instar du casoar, l’emblème de Saint-Cyr. Les cyrards ont adopté la désormais célèbre coiffure le 24 août 1855.
A l’occasion d’une visite de la reine Victoria, l’Empereur Napoléon III ordonne aux élèves de l’école de coiffer leurs shakos (leurs képis) d’un plumet rouge et blanc, couleurs de la maison royale britannique. Les élèves le surnomment alors casoar en référence à un oiseau franchement laid que le zoo de Vincennes vient d’acquérir.
Aujourd’hui, ces casoars sont exclusivement fabriqués dans un atelier situé sur le camp. Les deux plumassières, Virginie et Katell, mettent entre huit et dix heures pour fabriquer toute la coiffure.
Le casoar est remis, chaque année courant novembre, aux nouveaux élèves de l’E.S.M. à l’occasion d’une cérémonie organisée sur le camp. Elle marque leur entrée dans le monde des officiers.
Au cours de cette même cérémonie, les élèves de l’École Militaire Interarmes reçoivent eux le sabre des mains de leur parrain.
Les gestes et les paroles n’ont pour ainsi dire pas changé.
Haut lieu de tradition, les écoles se veulent aussi à la pointe de l’innovation dans les domaines scientifiques et des sciences-humaines.
Les civils à l’école du commandement
Militaire, le camp s’ouvre de plus en plus au monde civil et à l’international.
Chaque promotion accueille environ 20% d’élèves-officiers étrangers tandis que des étudiants de Coëtquidan vont compléter leur formation à l’international. Des accords d’échanges ont été noués avec d’autres écoles militaires, notamment en Allemagne mais aussi au Royaume-Uni et aux Etats-Unis à West Point.
Par ailleurs, 1.500 civils, étudiants d’autres grandes écoles et cadres d’entreprises, viennent chaque année sur le camp chercher le label « Saint-Cyr, grande école de commandement ». Au travers de stages de quelques jours, des dirigeants s’entraînent « à la militaire » pour parfaire leur leadership.